okami29 wrote: ↑03 Jul 2018, 17:06
Merci LeConventionnel pour ces explications.
Comme tu es plutôt de l'avis du cortège de tête que je ne soutiens pas, j'aimerais comprendre quelle est la position du PIR sur plusieurs sujets.
Le
tweet de l'Amicale des Jeunes du Refuge qui affirme la position suivante du PIR est-il exact ?
"Rappelons que ces "marcheurs LGBT" ne souhaitent pas la dépénalisation universelle de l'homosexualité
WHY ? BECAUSE pour eux ce serait de l'homonationalisme, L'Occident ne doit pas critiquer les pays africain ou arabo-musulman condamnant l'homosexualité à la prison/peine de mort"
Si on consulte les commentaires de
cet article qui cherche à défendre le PIR.
On peut lire, commentaire de "Luc47 sur 28 mars 2016 à 14 h 59 min"
Mais visiblement vous connaissez très mal la position d’Houria Bouteldja sur l’homosexualité :
– concernant le mariage gay elle a dit : « le mariage pour tous ne concerne que les homos blancs' » ce qui implique que pour les « indigènes » il ne peut exister.
– encore elle qui dit : « le mode de vie homosexuelle n’existe pas dans les quartiers populaires. CE QUI N’EST PAS UNE TARE ».
– toujours Houria Bouteldja : « le choix de l’homosexualité, dans les quartiers populaires, est un luxe (que l’on ne peut pas se permettre) ». Le choix de l’homosexualité ! c’est vrai que l’on choisit sa sexualité.
EDIT : Il me semblait bien qu'on avait déjà parlé de la vidéo de Guénolé
ici.
Il semble que l'intégralité de la citation ne soit pas passée. Je redirige ceux qui sont intéressés par mon message à la version intégrale du message d'okami29.
Bon, je vais reprendre les trois parties mais je précise d’abord quelques éléments. Je vais être franc, je ne soutien pas du tout le PIR (et ça m’énerve d’être son avocat à chaque fois
). J’aime mieux le discours des anarchistes queer, sans y souscrire complètement. Le fait que je préfère le cortège de tête est surtout dû au fait que je désapprouve le cortège principal, sa dépolitisation, sa marchandisation (et la présence d’un char de la République en Marche
). Il me faudrait un cortège de plus pour me sentir tout à fait à ma place (entre le cortège principal et le cortège de tête peut-être…
).
- Néanmoins, si je partageais la vision du PIR exposé par Thomas Guénolé dans cet odieux débat, j’aurais aussi désapprouvé le cortège de tête. J’ai déjà eu, sur ce forum, l’occasion de dire ce que je pensais de ce passage de ce soir ou jamais et de l’intervention indigne de Thomas Guénolé.
Indigne, je le dis sans hésiter même si Thomas Guénolé est un membre important du mouvement auquel j’appartiens maintenant. Indigne parce que s’il est évident que les positions du PIR peuvent et doivent être discutées (
a fortiori par une gauche universaliste et, il faut bien le dire, un peu chauvine, comme la mienne) rien n’est pire que de s’opposer politiquement par de la malhonnêteté intellectuelle. Or, quand on lit les textes du PIR et surtout le livre que citait Thomas Guénolé on s’aperçoit que toutes les citations étaient tronquées. C’est un article de Yagg (
http://yagg.com/2016/03/21/les-indigene ... haffauser/) qui m’avait permis de le découvrir en retranscrivant le passage entier du livre de M. Bouteldja cité par M. Guénolé.
On pense ce qu’on veut de ce texte (à titre personnel je pense que c’est une démonstration fumeuse), mais clairement le passage cité est une dénonciation d’un stéréotype et pas une affirmation.
- Concernant la polémique entre le refuge et le PIR, elle est impossible à comprendre sans considérer que le PIR et le refuge ne parlent pas la même langue. Leurs idéologies sont complètement incompatibles. Le refuge considère que les homosexuels (individus avec une attirance sexuelle et émotionnelle pour un individu du même sexe) ont une dimension universelle (qu’on en trouve aussi bien en France qu’au Pakistan et au Brésil avec exactement les mêmes aspirations). Ceci est contesté par le PIR, qui s’appuie sur les sciences sociales (les travaux de Foucault sur l’histoire de la sexualité pour citer le plus célèbre). Pour eux, la catégorie d’homosexuel (que les historiens font remonter au XIXe siècle) est une catégorie historicisée et localisée et ils considèrent que se battre pour le droit des homosexuels dans le monde est une nouvelle forme d’impérialisme culturel et fait le jeu de l’homophobie (question qu’on peut légitimement se poser, cf. : exemple qui suit).
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Je cite ici un extrait d’un bouquin d’Alain Naze (un Philosophe libertaire) qui reprend dans son livre la pensée de Guy Hocquenghem (la grande figure intellectuelle du FHAR dans les années 1970) pour critiquer la normalisation des gays. Dans cet extrait, il évoque l’exemple de l’Inde.
En 1861, sous la colonisation britannique, fut votée la première loi interdisant l’homosexualité dans le pays. En 2009, le gouvernement avait décidé d’abroger la loi mais le conseil constitutionnel s’y opposa. Alain Naze questionne ensuite la réaction des indiens.
« Si les indiens ne pouvaient bien évidement pas rester sans réagir face à cette recriminalisation de l’homosexualité, le choix de se placer pour s’exprimer sous la bannière LGBT est plus discutable. […] n’est-ce pas ainsi apporter de l’eau au moulin de la droite indienne que de défiler sous les couleurs occidentales d’un rassemblement LGBT, quand précisément "[d]es groupes hindous de droite […] appel[ent] [l]es relations [homosexuelles] une maladie et une importation culturelle occidentale", ou lorsqu’ils déclarent par la bouche de Vinod Bansal, le porte-parole du conseil hindou mondial, l’homosexualité comme "contre-nature" et "contre le patrimoine du pays". Ne prend-on pas le risque, de cette façon, d'apparaître comme les alliés de l’impérialisme occidental […] ? » (NAZE A., Manifeste contre la normalisation gay, Paris, La fabrique Editions,2017 page 97 à 99).
L’exemple indien parlera à tous ceux qui ont visionné la série Sense8 qui montre en toile de fond de l'histoire d'un des personnages principaux la montée en puissance des nationalistes hindous dans une Inde qui, du fait de la mondialisation et sous l’impulsion d’une élite conservatrice (et indéboulonnable en raison des castes), s’occidentalise de plus en plus. D’autres exemples existent aussi dans d’autres pays comme en Russie ou l’occident est le grand ennemi (et surtout dans la république de Tchétchénie), on pourrait aussi citer la Turquie d’Erdogan. En tant qu’occidentaux, on sous-estime malheureusement souvent le niveau de détestation que nos pays suscitent ailleurs dans le monde.
Quoiqu’il en soit, même si la question est légitime, il est vrai que c’est un choix cornélien. D’un côté on peut décider de soutenir des gens qui, du fait de l’hégémonie culturelle occidentale épousent nos identités sexuelles sans être convaincu du résultat de ce soutien. D’un autre côté on peut les abandonner au non de la diversité culturelle et du refus d’un universalisme occidental s’imposant comme une nouvelle forme d’impérialisme colonial… Personnellement, je préfère l’hypothèse du pompier pyromane mais peut-être ne suis-je pas assez conséquent.
Quoiqu’il en soit, on comprend mieux la position du PIR quand on sait que ce n’est pas SOS homophobie. Sa préoccupation c’est l’anticolonialisme. Eux ne se posent même pas la question des homosexuels maltraités dès l’instant qu’il faut lutter contre une forme d’impérialisme culturel (à chacun ses priorités comme on dit).
Il n’empêche que cette critique de l’homonationalisme ne vient pas d’eux à l’origine. C’est une critique venue de l’intérieur du mouvement LGBT anglosaxon et qui s’est développé dans la recherche universitaire (les études de genre et toute la nébuleuse). Ce n’est qu’après que les penseurs du PIR ont intégré dans leur discours anticolonial et antiuniversaliste cette question (voir l’article du Monde du 28 juin 2012 qui résume assez bien la controverse sur l’homonationalisme et qui montre qu’elle est avant tout interne au mouvement LGBT :
https://www.lemonde.fr/culture/article/ ... _3246.html). C’est pour cela que des associations anarchistes Queer ont accompagné le cortège de tête.
- Enfin, concernant le passage d’Houria Bouteldja sur le fait que l’homosexualité n’existe pas dans les quartiers, il faut prêter attention surtout au dernier passage qui en donne la clef de lecture. Selon elle, l’homosexualité dans les quartiers (racisés et pauvres) serait un luxe. Elle ne nie pas qu’il y ait des rapports homosexuels dans les quartiers mais elle considère que ceux qu’on appellerait, avec notre vision de « blancs universalistes », des homosexuels se tournent vers d'autres chemins (des formes de bisexualité j’imagine ?) pour éviter notamment de se couper d’une solidarité communautaire essentielle à la survie dans ces ghettos. Elle prend donc en compte l’homophobie des quartiers. Néanmoins, si on rentre bien dans ce qu’elle dit, dire que l’homophobie (largement implanté dans le monde par les empire coloniaux – l’exemple indien le montrait assez bien) est plus importante que dans le reste de la société est faux. Ses conséquences sont maximisées par une forme d’insécurité matérielle beaucoup plus forte que chez les classes moyennes et supérieures blanches. Par ailleurs, le combat pour les homosexuels des quartiers lui semble de ce fait hors de propos (d’où ces paroles) : déjà parce que pointer du doigt l’homophobie des quartier est pour les blancs la meilleurs façon d’être du bon côté du doigt (et de ce fait traduit une forme de racisme ou d’islamophobie qui ferait des arabes des arriérés par rapport à des blancs ouvert et tolérants), d’autre part car c’est en luttant contre la relégation des racisés seulement qu’il sera possible de lutter contre et enfin parce qu’elle voit dans la volonté de libérer les homosexuels des quartiers à la fois une forme de racisme et à la fois une forme d’homophobie (c’est ce qu’elle développe dans le passage cité par Yagg avec la compétition virilise). On voit ici clairement son inspiration foucaldienne et, mais pour le coup c’est un jugement très personnel, sa capacité à faire des raisonnements intellectuels très poussés pour faire rentrer des problèmes dans ses petites cases conceptuelles d’antiraciste politique.
En somme, je pense qu’il y a beaucoup de critiques à faire au PIR, mais pas celles qui lui sont faites habituellement (homophobie, sexisme, antisémitisme et racisme). En effet, ces dernières participent à l'hystérisation du débat public tout en rendant inaudibles des arguments qui, je le répète, sortent aussi de la bouche d'universitaires spécialisés sur ces questions.
J'espère que j'ai été clair et que la lecture fut bonne.